Egothèque, on a dit. Voilà, voilà, voilà. Je commence donc sans complexe par me flatter l’ego en m’affublant d’un pseudonyme ronflant censé vous laisser croire que je suis un surhomme habitué à sauver le monde tous les quarts d’heure sans jamais boire ni pisser, alors que je suis un feignant chétif qui aime la bière.Soyons donc égoïste en diable pour ce premier papier, qui s’adressera exclusivement à deux catégories bien précises de personnes :
1) celles et ceux qui connaissent la série
Farscape en entier ;
2) celles et ceux qui ne la connaissent pas mais se fichent de se voir dévoiler des éléments clés de l’histoire qu’elle raconte (chez les initiés, ce genre d’info s’appelle un
spoiler).Bien que la trame générale de
Farscape ne soit pas à proprement parler le sujet du présent blabla, l’épisode 17 de la quatrième saison,
A constellation of doubt (
Une constellation de doutes en français), me servira de point de départ et de matière pour illustrer ma petite divagation.
John Crichton est un astronaute perdu à l’autre bout de l’univers à bord d’un vaisseau vivant peuplé d’aliens évadés. A constellation of doubt montre notre héros passablement perturbé par la fin de l’épisode précédent, qui ne nous intéresse pas ici. Il passe son temps devant un téléviseur ramené de la Terre, sur laquelle il a pu effectuer un bref passage quelques temps auparavant.
À cette occasion, Crichton a provoqué une situation de premier contact, en amenant sur Terre sa bande de xénopotes remuants. Bien que les effets de cette retentissante nouveauté soient déjà largement abordés dans l’épisode 4.13 Terra Firma, A constellation of doubt apporte un nouvel angle d’approche à cette fascinante thématique.
Affalé devant sa télé, Crichton se repasse en effet en boucle l’enregistrement d’une émission diffusée six mois après que l’équipage de Moya ait quitté la Terre, interceptée par Pilote. Une émission intitulée Alien visitation, qui non seulement vient enrichir et compléter l’intrigue déjà solide de Terra Firma, mais qui est aussi l’occasion pour les auteurs de disserter sur les réactions que pourrait présenter l’humanité face à une telle situation.
Dans Farscape, le premier contact est singulier par bien des aspects. Les aliens sont accompagnés d’un ami terrien. Il n’y en a pas deux pareils : l’humanité découvre d’un seul coup une demi-douzaine d’espèces intelligentes extraterrestres. Ils ne représentent qu’eux-mêmes : pas d’établissement de relations diplomatiques, de mise en place d’échanges commerciaux en perspective. Ils ne sont pas une menace, mais n’apportent finalement presque rien d’autre à l’humanité que cette simple et grande nouvelle : vous n’êtes pas seuls.
Comment les humains réagissent à cette nouvelle et l’intègrent à leur vision du monde est le principal sujet de l’épisode. Face caméra et sur fond noir, divers intervenants donnent leur point de vue sur une série de séquences notamment filmées par Bobby, le neveu de John Crichton. On trouve pêle-mêle un anthropologue, un sociologue, une psychologue, un militaire, un anonyme au visage masqué désigné comme étant une « source administrative de haut niveau – Communauté de renseignement » (1), un révérend, un bouddhiste, un représentant du Commandement spatial des Nations Unies (2), une psychologue criminologiste, Olivia Crichton (la soeur de John), un xénobiologiste, un professeur de comportementalisme cognitif (3), un évêque, et une représentante des services de l’immigration (4).
La science-fiction permettant mieux que tout autre genre de parler de l’humain (5), la thématique du premier contact est forcément l’une des plus pertinentes qu’un auteur (6) puisse utiliser pour questionner nos sociétés. L’humanité est-elle prête à se confronter à une telle révolution ? Quelles sont les conditions nécessaires à l’acceptation d’un changement de paradigme de cette ampleur ?
Peu enclins à y voir une bonne nouvelle: les catholiques, les militaires et la psychologue (7), cette dernière détenant le pompon des propos alarmistes, assénant notamment que depuis le départ des aliens, les attaques de panique et d’anxiété ont augmenté de 700%. Elle est globalement très inquiète des réactions de la grande majorité de la population. Elle ne manifeste aucun enthousiasme, bien au contraire. Et elle n’a peut-être pas entièrement tort…
Kemper n’est pas un naïf (Terra Firma abordait les questions liées à l’utilisation des technologies aliens et leur partage ou non entre les nations de la Terre). Six mois, c’est à peine le temps pour les terriens de digérer toutes les implications de la grande nouvelle. Que les élites dotées d’instruments de réflexion accueillent plutôt favorablement une visite extraterrestre peut sembler assez naturel. Que de larges couches de populations modestes et peu instruites ayant déjà beaucoup de mal à supporter leurs voisins s’en inquiètent ne l’est pas moins. Tout le monde n’est pas prêt, loin s’en faut, à affirmer sereinement comme Bobby Crichton que les aliens « sont normaux, comme vous et moi ».
Que penser, en effet, de la vision de la Terre exprimée par Rygel ? « C’est une planète arriérée, pleine de crétins xénophobes et superstitieux. Rien n’a de sens à leur yeux s’ils n’y ont pas pensé auparavant, et même alors, ils se contentent de radoter. » (8) Il ajoutera un peu plus tard : « Si l’on se souvient seulement de la Terre, ce sera très probablement pour la qualité de son travail manuel ». (9)
Le point de vue d’Aeryn n’est pas davantage de nature à rassurer les foules : « De ce que je sais des Pacificateurs (…), ils ne pourraient pas moins se soucier de cette planète. Vous n’êtes pas une menace. Technologiquement parlant, vous n’êtes même pas un potentiel allié. Alors… Si quelqu’un voulait vous réduire en esclavage, si on voulait vous détruire, cela pourrait-il être fait ? Et bien, assez simplement : oui. » (10). Un propos que Ka D’Argo confirme sereinement, ce que la psychologue qualifie d’ « acte de terreur psychologique ».
Et en prime, ces foutus aliens semblent avoir furieusement bien compris comment fonctionnent les rapports entre nations humaines. Déjà facilement encline à considérer les autres espèces comme inférieures, Sikozu lâche : « Les complications politiques qui pourraient découler d’un simple trou-de-ver flottant dans votre atmosphère dévasteront une planète qui est encore dans les affres du chaos au sein d’une espèce. » (11).
Des craintes bien naturelles : il paraît logique de supposer que si des extraterrestres parvenaient jusqu’à nous, nous ne saurions rivaliser technologiquement avec eux. La paranoïa atteindra son paroxysme avec le témoignage de ce pauvre shérif, seul témoin du passage sur Terre de nos héros en 1985 (épisode 4.12 Kansas), interné pendant de longues années, et convaincu que les aliens implantent dans nos cerveaux des micro-puces destinées à nous faire manger de la nourriture grasse !
Mais Kemper se montre optimiste, et les intervenants, en majorité positifs, voire enthousiastes, soulignent chacun à leur tour en quoi les aliens nous aident à mieux nous comprendre nous-mêmes. D’Argo nous voit comme une espèce jeune et indisciplinée. Noranti s’émerveille de ce que malgré notre ignorance, nous ne renoncions jamais. Rygel, dont l’anthropologue dira qu’il nous comprend mieux que nous ne voudrions l’admettre, se gave de sucre, substance utilisée par les siens comme un poison. Il peine à voir la différence entre serviteur et esclave, et relève que l’on peut obtenir une femelle par un simple coup de téléphone.
Chiana enfin amène l’anthropologue à dire qu’il nous faudra à terme réévaluer tous les concepts par lesquels nous nous jugeons habituellement. Elle pleure la mort d’un rat. Elle raille le luxe de nos salles de bains et se demande pourquoi nous ne ferions pas notre toilette dans les WC. Et elle ne comprend pas que Bobby, à treize ans, n’ait pas le droit de faire l’amour.
Dans Terra Firma, Crichton estimait que sa planète n’était pas prête. Après trois ans dans les territoires non répertoriés, la Terre lui semblait bien petite et ses problèmes bien Terre-à-Terre (désolé, je n’ai pas ou m’en empêcher). La série confirmera cependant son point de vue positif sur l’influence du premier contact lors de l’une des plus belles séquences de l’épisode 4.22 Bad Timing (Mauvais timing en VF). John a l’occasion d’entrer à nouveau en contact avec son père, lequel lui apprend que les humains sont en train de s’unir, et qu’au bout du compte, sa visite a eu l’effet qu’il pouvait espérer.
Traiter du premier contact, c’est en définitive traiter de l’ouverture d’esprit d’une société à un moment donné. Pendant la Guerre Froide, les premiers contacts consistaient la plupart du temps en une invasion par des aliens collectivistes (ou capitalistes, selon le côté du rideau de fer). Dans les années 80, quelques films comme E.T. (Spielberg) ou Starman (Carpenter) ont contribué à changer la perception qu’a le public de ces thématiques. Notre rapport à l’autre s’est complexifié, même si dans ces deux films, les aliens sont pourchassés et craints par le plus grand nombre.
S’il y a un événement que j’aimerais voir avant de crever, c’est bien celui-ci. Voir l’humanité confrontée à la preuve de l’existence d’une vie intelligente ailleurs est probablement mon plus grand fantasme non sexuel (quoique si c’est une Nebari style Chiana qui débarque…). Et à de rares exceptions près (au nombre desquelles le film de Zemeckis « Contact »), jamais une oeuvre de fiction ne m’avait autant apporté sur le sujet que ce merveilleux épisode de Farscape.
(1) High level administrative source – Intelligence community
(2) UN space commands
(3) Traduction personnelle de « prof. of cognitive behaviourism »
(4) Outside counsel – Immigration and naturalization service
(5) Point de vue totalement personnel et subjectif
(6) En l’occurrence David Kemper, l’un des créateurs de la série.
(7) Présentée comme l’auteur d’un livre intitulé « What makes us tick – A story of evil » (« Ce qui nous pousse – Une histoire du mal »)
(8) Traduction personnelle et approximative (comme toutes les autres) de : « It’s a backward planet, full of superstitious xenophobic morons. Nothing makes sense if they did not think about it first, and even then, it’s simplicity drivel. »
(9) « If Earth is remembered at all, it will most likely be for the quality of its manual labour. ». On relèvera la savoureuse remarque faite par la représentante de l’immigration au sujet de Rygel : « Malgré ce que je suis sûre que de nombreux téléspectateurs pensent, c’est le dirigeant de plus de 600 milliards de sujets. Il fait forcément quelque chose de bien ! » (« Despite I am sure many viewers were thinking, this is the ruler of over 600 billions subjects. He must be doing something right ! »)
(10) « From what I konw of the peacekeepers, and of anyone else, for that matter…, they could not care less for that planet. You are not a threat. Technologically speaking, you are not even a potential allie. So… If someone wanted to enslave you, if they wanted to destroy you, could it be done ? Well, quite simply : yes. »
(11) « The political complications that may arise from a simple wormhole floating in your atmosphere will devastate a planet that is still in the throes of intra-species chaos. »