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Poussière des toiles

February 14th, 2006 February 14th, 2006 by Ed
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Georgia O'Keeffe (American, 1887-1986) - A Storm, 1922L’art, sans technique, n’existe pas. Il faut une maîtrise parfaite pour arriver à exprimer avec justesse ce qu’on ressent à travers une musique, une sculpture, un film,… mais ce ne sont que des supports, des vecteurs. La technique pure, on ne veut pas, on ne doit pas la voir. Elle doit laisser la place entière à l’émotion. Il arrive pourtant qu’elle soit tellement éblouissante qu’elle vous renverse sur le cul.

Edgar Degas - The Tub, 1886Ca a été le cas quand j’ai découvert, au Louvre, une exposition sur les pastels. Quelle claque, j’ai reçue ce jour-là ! L’homme commun nait de la poussière et y retourne très vite. Les artistes pastellistes exposés au Louvre ont travaillé avec talent et génie la poussière, y laissant à jamais leur trace.

Everett Shinn (American, 1873-1953) - Fire on Twenty-Fourth Street, 1907 Il est bien difficile d’exprimer par des mots la splendeur des tableaux formant l’exposition. La plupart des oeuvres avaient, en leur temps, tenu lieu d’examen d’entrée à la prestigieuse Académie royale de peinture et de sculpture, devenue par la suite Académie des Beaux-Arts et il va sans dire que devant l’enjeu les artistes avaient donné le meilleur d’eux-mêmes.

Comment imaginer que ces tableaux de poussière réalisés il y a des siècles n’aient pas pris le moindre voile ? Ils sont tout aussi vifs qu’ils pouvaient l’être alors : dorures rayonnantes, dentelles délicates, velours moëlleux, armures étincelantes, voiles transparents,…

Jean-Étienne Liotard (Swiss, 1702-1789) - Portrait of Maria Frederike van Reede-Athlone at Seven Years of AgeOn aurait envie de passer les doigts dans les chevelures pour arranger une mèche, donner un petit coup pour défroisser une jupe, demander à ce visage de se tourner un peu plus vers la lumière. L’artiste a fait naître une oeuvre de la poussière et la magie du pastel l’a gardée vivante. Que dire d’autre ? C’est fabuleux !

Maurice Quentin de La Tour (French, 1704-1788) - The Marquise de PompadourLe nom de celui qui, entre tous, a produit sur moi cette impression indélébile : Quentin de La Tour. J’emprunte au Louvre une photo de bien piètre qualité pour vous donner un aperçu mais je vous engage à aller voir les détails de l’oeuvre sur le site du musée et, encore mieux d’aller constater de visu l’incroyable richesse de ses pastels.

  1. Georgia O’Keeffe (American, 1887-1986), A Storm, 1922
  2. Edgar Degas, The Tub, 1886
  3. Everett Shinn (American, 1873-1953), Fire on Twenty-Fourth Street, 1907
  4. Jean-Étienne Liotard (Swiss, 1702-1789), Portrait of Maria Frederike van Reede-Athlone at Seven Years of Age
  5. Maurice Quentin de La Tour (French, 1704-1788), The Marquise de Pompadour

Sculpture, culture, futur

January 23rd, 2006 January 23rd, 2006 by Ed
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Aphrodite/ Praxitèle David/ Michel-Ange Le penseur/ Rodin

On vous dit sculpture, vous pensez aussitôt Praxitèle, Michel-Ange, Rodin (Aphrodite , David, Le penseur), sculpteurs des corps dans toute leur plastique, témoins de la constance de leurs formes.

Femme debout 2/ GiacomettiGiacometti, avec ses hommes et femmes debout, assis, marchant, introduit une autre dimension, celle de son angoisse mais il continue toutefois à décrire les corps, même si ce ne sont que squelettes filiformes.

Il en va tout autrement de Tony Cragg dont la sculpture ne cherche plus à reproduire, sous une forme ou une autre, une réalité physique mais s’attache à nous montrer la relation des hommes avec leur environnement.

Stack/ CraggSes empilements d’objets sont comme des vues en coupe de couches géologiques. Ils nous émeuvent par leur densité ou leur fragilité, ils sont ce qui restera de nous après que le temps aura fait son oeuvre.

Cumulus/ CraggStack nous écrase entre ses couches de gravas alors que Cumulus nous expose toute la fragilité de ce monde à travers un éblouissant empillage de bouteilles, fioles, flacons de verre dépoli par le temps qui a passé sur eux comme un nuage.

Tony Cragg nous offre, avec “Bretagne vue du nord” (1) une autre vision du monde qui nous entoure et peut-être une direction, celle où l’on ne se contenterait pas de laisser une marque dans notre environnement mais où on chercherait à interagir avec lui de manière organisée et cohérente.

Britain Seen from the North/ Cragg

(1) Composition d’objets hétéroclytes regroupés pour former un tout cohérent, idée dérivée de la physique des particules (selon les indications données lors de l’exposition en Août 2004)

Comment j’ai découvert Samuel Barber

January 16th, 2006 January 16th, 2006 by Ed
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La musique en fond sonore, ça peut convenir aux salles d’attente et aux supermarchés mais ce n’est pas (encore) de mise dans les musées.

J’étais donc intriguée, en entrant dans une petite salle du Tate Modern, de me retrouver baignant dans une musique un peu austère. Un petit attroupement m’empêchait de bien voir ce qui était présenté dans la pénombre de la salle mais j’avais pu apercevoir le corps nu d’un jeune homme.

barber[1].jpgFoin de concupiscence, c’est la musique de Samuel Barber qui m’a incitée à rester. Au bout d’un moment, des visiteurs ayant poursuivi leur chemin, je me suis retrouvée face au jeune homme gracile qui se mouvait, nu, sur l’écran. Son corps se balançait, ondulait assez souplement en cadence. Son sexe battait, lui aussi, contre ses cuisses, son ventre mais pour le jeune homme, ça n’avait aucune importance, il ne ressentait aucune gêne puisque le public n’existait pas. Seul, il dansait au milieu de sa chambre, l’air absorbé et extatique. Son grand corps blanc et mince semblait s’offrir, entrer en communion spirituelle avec la musique qui nous était donnée à écouter et que nous écoutions dans le silence religieux de cette étonnante chapelle.

Brontosaurus.jpg

J’ai fini par me retrouver seule dans la salle, envoûtée par la musique, fascinée par cette danse, à peine distraite par le va-et-vient des rares visiteurs qui avaient tôt fait de tourner les talons face à ce spectacle insolite.

J’ai pris soudain conscience du spectacle que j’offrais moi aussi, seule à admirer ce jeune danseur nu. De visiteuse, spectatrice, j’étais devenue voyeuse et j’ai ressenti le besoin, littéralement, d’aller voir ailleurs. Mais avant de partir, il me fallait quand même savoir qui était le maître d’oeuvre de cette composition si intrigante et quelle était la musique sur laquelle le jeune homme semblait être en transe. Un panneau se trouvait à l’entrée de la salle mais j’avais été tellement hypnotisée que j’étais passée à côté sans le voir.

taylor-wood[1].gifUn peu gênée, j’ai consacré quelques instants à la lecture du panneau qui m’appris que l’artiste était une femme du nom de Sam Taylor-Wood et la musique une composition de Samuel Barber intitulée Adagio.

Un commentaire de l’artiste expliquait la création de Brontosaurus et replaçait l’oeuvre dans son contexte. On apprenait ainsi que le jeune homme avait été filmé alors qu’il dansait nu sur une musique techno-jungle assez rapide. Puis le film avait été ralenti jusqu’à donner une certaine grâce, élégance aux mouvements parfois désordonnés du danseur. Enfin, la musique originale avait été remplacée par cet adagio mélancolique, accentuant le caractère fragile du sujet livré à notre regard scrutateur et impudique.

J’avais donc bien senti le malaise qu’avait voulu nous faire ressentir l’artiste. Elle-même avait été frappée par l’utilisation de l’adagio pour cordes de Barber au cinéma où la musique avait été choisie pour illustrer tantôt l’héroïsme, tantôt la difformité. Sa composition, quant à elle, mettait en scène les nombreuses facettes de l’humain, à la fois beau, maladroit, pathétique et ridicule , faisant surgir des sentiments tout aussi divers et contradictoires.

J’ai finalement quitté la salle ce jour-là avec le sentiment d’avoir fait une vraie découverte : celle de deux artistes qui, à travers la conjonction de deux oeuvres, arrivent à imprimer une marque profonde.